Après un EP dominateur mais sans surprise, Godflesh sort un album en demi-teinte qui explore d’autres horizons, injustement présenté comme un retour à
Streetcleaner. Oui, le retour des Anglais a été compliqué.
Raison pour laquelle j’ai mis tant de temps à apprécier
A World Lit Only By Fire ? Possible, mon cerveau sujet aux représentations ayant, comme avec les essais tardifs de leur première période (
Us and Them en tête), mis du temps à considérer cet album pour ce qu’il est. Allers-retours, écoutes scrupuleuses ou en fond sonore, mise en pause et quotidienneté… Godflesh mérite bien cela, en tant que groupe de cœur, d’aller plus loin qu’une illustration provocatrice, plus loin qu’une production qui agace d’abord l’oreille, plus loin qu’un faux-semblant de vieux cherchant à jouer « comme en 89 ». Il mérite de se connecter à son nouveau discours, d’essayer de comprendre les états d’âmes de Justin au moment de la création de ces dix compositions, comme un vieil ami que l’on retrouve et où l’on cherche au départ une jeunesse perdue, puis où l’on développe une curiosité pour ce qu’il est devenu, différent mais autrement éclatant.
Toutefois, « éclatant » n’est pas le premier mot qui vient en tête une fois le déclic eu pour
A World Lit Only By Fire. « Terne », « morose », « éteint » et « forcené » sont plutôt le lexique que l’on développe à son sujet. D’abord concernant son habillage, écrasant et brut, à la limite de l’absurde, boite à rythmes, basse et guitare matraquant un même tempo. Godflesh se situe alors aux frontières du metal – ce qu’il, rappelons-le, n’a jamais joué – voire du sludge (les riffs de « Carrion » ou « Deadend »). Pour dire, il m’est même arrivé de penser à Celtic Frost dans cet armement rudimentaire presque old school, la simplicité au service d’une agressivité nue. Voici le premier mur à franchir : celui du son, qui finit par ne plus être rejetant une fois l’oreille habituée mais plus empathique, la terreur partagée au sein d’un monde calciné.
A World Lit Only By Fire mérite son titre, coupant la noirceur par un feu étranglé, faible au milieu du noir vainqueur. Deuxième mur : la voix de Justin, écorchée, hurlée à s’époumoner et cependant sans la puissance monstrueuse d’autrefois. L’homme n’ayant pas perdu de ses capacités vocales (
Decline & Fall ainsi que les premiers titres de
Post Self en exemples), il s’agit bien d’un choix délibéré de sa part. Et s’il n’est pas toujours concluant (les lignes vocales de « Life Giver Life Taker » et « Imperator », bien trop transparentes), il devient compréhensible dans ce décor où l’humain vacille comme au bout de sa chandelle. Ce qui ne veut pas dire que le duo perd ici en puissance ; c’est même cette ambivalence qui fait le sel de la première moitié de l’album, « Shut Me Down » en pic d’intensité obsédant.
Mais il existe un troisième rempart, infranchissable, empêchant
A World Lit Only By Fire de devenir un grand album : l’inconstance dans l’exercice où Godflesh, extrémiste, ne trouve pas d’ailleurs dans sa négativité. Les cartes sont posées dès le départ, le jeu finissant par tourner en rond à partir de « Curse Us All ». Quelques bluffs existent – le groove de « Towers Of Emptiness », les envies aériennes à la Jesu de « Forgive Our Fathers » – mais ne parviennent pas à enlever ce sentiment de baisse que je ressens plus d’une fois sur la deuxième partie de l’ensemble.
On n’écoute pas Godflesh comme n’importe quel groupe, en se contentant de relever les bons et les mauvais points. Une grande part sentimentale entre en compte et chamboule le résultat final.
A World Lit Only By Fire possède une ambiance étrange, nihiliste, où l’humain lutte pour exister, gorge déployée bien qu’à bout de souffle, muscles usés comme lors de l’ultime épreuve avant l’extinction. Ce qui fait que, malgré certains morceaux où l’on sent que ce retour a encore besoin de se trouver une raison d’être, mon ressenti envers cet album n’est plus aussi catégorique que lors de sa découverte. La version dub
A World Lit Only By Dub sacralisera tout cela, redonnant une spiritualité à ce qui, ici, se bat avant tout pour survivre.
5 COMMENTAIRE(S)
13/04/2025 15:03
Je me base sur mes souvenirs, mais je crois me rappeler que Justin parlait à l'époque d'un besoin d'évacuer une négativité galopante, ce qui fait écho à Streetcleaner... chez moi, du moins. Je me goure peut-être mais ce n'est pas comme ça que je définirai toute la discographie de Godflesh, plus nuancée. Bref, le lien paraît présent en ambiance oui, bien que plus humain ici.
13/04/2025 13:03
13/04/2025 13:36
C'est intéressant, et "pas déconnant" comme on dit de nos jours. Avec un parti-pris sonore net et nettement différent, mais le côté guerre dans les rues et 1% d'humanité est en effet similaire.
13/04/2025 11:13
13/04/2025 10:04