Si l’histoire discographique de
MORDRED débute en 1986 avec «
Demo I », c’est véritablement «
Fool’s Game », en 1989, qui fait rentrer les Californiens de San Francisco dans la petite histoire du
metal inventif. La signature chez les Allemands de
Noise Records en dit long sur la prise de risques du label à cette époque, la formation étant présentée comme l’une des premières (si ce n’est la première) à intégrer un DJ à ses compositions que l’on pourrait décrire comme du
thrash fusion, notamment à cause de sa propension, encore légère, au
funk. Ici,
Aaron Vaughn n’est pourtant crédité que sur deux pistes de l’album (les numéros trois et neuf) et il ne deviendra un membre à part entière qu’à partir d’«
In This Life » (1991), le deuxième LP. Cependant, au-delà de cette particularité, on ne peut pas dire que la carrière du groupe ait vraiment décollé, peut-être la faute à une suite d’EP de moindre intérêt puis à un «
The Next Room » en 1994 qui s’est globalement fait descendre, marquant plus ou moins la fin de l’aventure des Américains puisqu’il faudra ensuite patienter jusqu’en 2021 pour écouter un «
The Dark Parade » en demi-teinte.
Afin d’évoquer cette carrière somme toute un peu
loose, en dépit de l’aura qui entoure
MORDRED mais également de l’intérêt que j’ai envers son œuvre, j’ai été tenté de commencer cette série d’articles par «
Visions », cassette que j’avais achetée en 1992, que j’ai récemment donnée à un pote et dont la côte sur Discogs est au plus bas (entre trois et cinq euros), avant de me raviser. Déjà parce que je n’arrive pas à aligner deux phrases qui tiennent la route sur cet EP, ensuite parce que j’aime bien prendre les choses par leur commencement, j’aime également les prendre par la fin mais je ne me sens pas le courage de m’attaquer immédiatement à «
The Dark Parade ».
Par conséquent, je réécoute aujourd’hui ce «
Fool’s Game » et je peine, à mon grand désarroi, à lui trouver des arguments enthousiastes. J’entends déjà les sifflets et les « pauvre con » retentir en tribune… Il faudrait alors préciser le contexte, rappeler que
FAITH NO MORE a déjà sorti «
We Care a Lot » (1985) ainsi qu’«
Introduce Yourself » (1987) et qu’il balançait à peine un mois après les débuts professionnels de
MORDRED le parfait «
The Real Thing ». Difficile de rivaliser. Toujours pas de bol en 1991 pour la sortie d’«
In This Life »,
INFECTIOUS GROOVES lâchait son
The Plague That Makes Your Booty Move…. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… Il s’agirait également de se remémorer que
SUICIDAL TENDENCIES est connu depuis 1983, que «
How Will I Laugh Tomorrow When I Can’t Even Smile Today » (1988) vient à peine de sortir, putain la concurrence est tellement rude pour
MORDRED, très mauvais
timing… Sans compter qu’il faudra aussi affronter le premier
MR. BUNGLE (1991), qui a enfoncé tout le monde en termes de
fusion, sponsorisé par
John Zorn en arrière-boutique.
Il reste que des efforts, «
Fool’s Game » en fournit, beaucoup, sans rechigner à la tâche. Déjà parce que lorsque le DJ intervient, sur « Every Day’s a Holiday » notamment, il est totalement intégré à la composition et que le rendu est terriblement
cool. Ne perdons pas non plus de vue que nous ne sommes qu’en 1989 et qu’à ce titre l’approche musicale de
MORDRED est foncièrement différente de ce que proposait les formations
thrash metal habituelles (je mets
ST de côté), son
crossover le rendant finalement plus proche d’un
D.R.I., en plus
fun, qualificatif que je n’apposerai pas vraiment sur des disques tels que «
Crossover » (1987) ou «
Thrash Zone » deux ans plus tard (mais je ferai un jour ou l’autre un sort à la discographie de ces sales imbéciles).
Le cul entre plusieurs chaises donc. Les délires
funk, encore minoritaires puisque quasi exclusivement présents sur « Every Day’s a Holiday » ainsi que sur la reprise « Super Freak » de
Rick James, sont mélangées au milieu d’aspirations plus dures, soit environ 80% du disque, voire tout simplement plus mélodiques à l’image des harmonies de guitares introductives de « The Artist », héritage direct de ce bon vieux
heavy metal. Nous pourrions également noter qu’une partie du solo présent sur « Shatter », à 02:28, utilise un son que l’on retrouvera ensuite jusqu’à l’écœurement chez
RATM, élément suffisant pour affirmer que
MORDRED faisait clairement partie des visionnaires, sans compter que l’ami
Chuck Billy (
TESTAMENT) fait quelques
backing vocals, c’est le petit bonus sympathique.
Et moi avec tout ça je suis bien emmerdé. Ce «
Fool’s Game », il a toutes les caractéristiques de son époque. Des expérimentations, déjà une forme de lucidité quant à l’aspect vain d’une course à l’outrance,
MORDRED cherchant clairement dès ce premier album à s’extraire d’une scène
metal normée et sans doute trop étroite pour son inspiration. Cependant, le chant de
Scott Holderby a une tessiture assez limitée si on la compare à celle de
Chuck Mosley ou de
Mike Patton à période équivalente, donc comme il chante exactement de la même façon sur les passages
funky et
crossover, les nuances sont forcément moins marquées. Par conséquent, le gros du boulot me semble être abattu par la paire de guitaristes
Danny White / Jim Taffer, tous deux complémentaires quel que soit le registre, la section rythmique me paraissant en revanche plus empruntée pour proposer des choses davantage alambiquées.
Il reste que lorsque « State of Mind » s’emballe, l’envie de sortir sa planche de skate se fait férocement sentir et que, globalement, le disque était un sérieux passeport pour prétendre à une haute destinée, peut-être marginale, mais supérieure à ce que cet univers lui accordera, sachant que ce que je trouve de moins intéressant dans «
Fool’s Game » c’est justement ce sur quoi s’est finalement entêtée la formation, à savoir ce côté
funk fusion parce qu’insuffisamment concurrentiel au regard de ce qui se pratiquait ailleurs sur la même période. Il reste que les Californiens, à la différence des
LIVING COLOUR,
FISHBONE, etc. qui étaient eux aussi affiliés au
hard rock au sens large, ne se sont jamais départis de ce ferment
thrash crossover dans lequel ils font alors plus que bonne figure, c’est juste que l’album sonne aujourd’hui extrêmement daté, sentiment que je n’ai pas en réécoutant
D.R.I. par exemple, mais également les classiques albums
thrash metal de l’époque. De toute façon, le concept trouvera son aboutissement dans «
In This Life », disque où l’on prendra la pleine mesure du talent de
MORDRED et qui m’empêche de me montrer plus généreux sur la note, l’écart entre les deux sorties me semblant abyssal.
Ayez pitié, ne me lapidez pas.
2 COMMENTAIRE(S)
22/06/2025 18:00
:-D
22/06/2025 17:56